Un professeur de l’UQAM cosigne avec une trentaine de chercheurs un article réfutant sans détour la théorie de l’arbre-mère.

Montréal, le 20 septembre 2023 – Une trentaine des plus grand écologistes forestiers de la planète, dont le professeur du Département des sciences biologiques Christian Messier, veulent remettre les pendules à l’heure. Dans un article publié dans la revue Trends in Plant Science, ils dénoncent les abus scientifiques et la romantisation des arbres, notamment le concept d’arbre-mère (Mother Tree) véhiculé par Suzanne Simard et Peter Wohlleben.

En ce 20 septembre, à l’occasion de la Journée nationale de l’arbre et de la Semaine nationale de l’arbre et des forêts au Canada, Christian Messier explique les raisons qui les ont poussés à signer ce texte.

Pourquoi les arbres s’entraideraient-ils?

Professeure et chercheuse en écologie forestière à l’Université de Colombie-Britannique, Suzanne Simard a publié il y a une vingtaine d’années, dans la revue Nature, un article démontrant qu’il y avait un échange de carbone entre des sapins de Douglas via les mycorhizes – ces petits champignons qui, dans le sol, entrent en symbiose avec les racines des arbres. «Ces champignons puisent l’eau et les éléments nutritifs dans le sol pour les transmettre à l’arbre qui, en retour, leur fournit des sucs, explique Christian Messier. Ce phénomène d’échange entre les arbres et les mycorhizes était connu, mais Suzanne Simard a utilisé une technique à base d’isotopes pour démontrer qu’il y aurait également des échanges entre les arbres via ces mycorhizes. Or, cette conclusion est étonnante: pourquoi deux sapins de Douglas, supposément en compétition, s’échangeraient des sucs entre eux?»

Les recherches de Suzanne Simard ont fait beaucoup de bruit à l’époque et la chercheuse a poursuivi ses recherches, avançant par la suite que les arbres fournissaient des sucs à des petits semis dans la forêt. «Cela l’avait amenée à conclure qu’il y avait une forme d’entraide entre les arbres: les individus matures permettaient aux petits semis en sous-bois de mieux survivre», raconte Christian Messier, qui est titulaire de la Chaire Hydro-Québec sur le contrôle de la croissance des arbres.

Un best-seller mondial

L’histoire ne s’arrête pas là: les articles de Suzanne Simard ont inspiré un ingénieur forestier allemand, Peter Wohlleben, qui a publié un livre devenu un best-seller mondial, The hidden life of trees (2017). «Il y développe la thèse selon laquelle, contrairement aux théories scientifiques, ce n’est pas la compétition entre les arbres qui constitue le facteur principal de la dynamique des forêts, mais plutôt l’entraide, et que les vieux arbres aident les petits semis à survivre et à mieux pousser», se désole Christian Messier.

La théorie de l’arbre-mère

En parallèle, Suzanne Simard a développé la notion de Mother Tree, l’arbre-mère qui nourrirait les jeunes semis en sous-bois et favoriserait leur croissance. Elle en a d’ailleurs tiré un ouvrage, intitulé Finding the Mother Tree (2021). «Ces affirmations vont à l’encontre d’à peu près toutes les données scientifiques et toutes les expériences réalisées au cours des 30 dernières années sur la dynamique des forêts», insiste Christian Messier.

«Malgré le fait que plusieurs scientifiques aient écrit à Peter Wohlleben et à Suzanne Simard pour leur signifier que leurs interprétations paraissaient exagérées, ils ont continué à répandre ces théories et le grand public semble les avoir adoptées», déplore Christian Messier.

«Notre article réfute ces théories et met en garde le grand public contre la tentation de prêter des valeurs humaines à des arbres et à des plantes, poursuit-il. Les arbres ont plusieurs interactions, oui, mais ils sont surtout en compétition pour les ressources: la lumière, l’eau, les éléments nutritifs. Les données scientifiques n’appuient pas la théorie de l’arbre-mère. À preuve: si on coupe des arbres matures dans une forêt, les arbres en sous-bois vont pousser beaucoup mieux!»

Ce n’est pas la première fois que les théories de Simard et Wohlleben sont décriées sur la place publique, mais c’est la première fois que d’éminents écologistes forestiers le font dans un article scientifique, précise Christian Messier. «L’objectif de Simard et Wohlleben est d’arrêter la coupe forestière. Ce n’est pas un mauvais objectif puisqu’il y a beaucoup d’abus dans le domaine, mais mes collègues et moi ne pouvons pas accepter que l’on déforme la science et que l’on fasse de la désinformation.»

Conférence au Cœur des sciences

Plus de 15 millions d’hectares de forêts sont partis en fumée en 2023 au Canada; plusieurs feux sont encore actifs. Quelles en sont les causes? Plus fréquents, plus intenses, ces incendies rendent la régénération naturelle difficile. Que faire? Comment s’assurer à l’avenir que les feux soient moins dommageables, quelle stratégie adopter pour rendre nos forêts plus résilientes: laisser faire la nature, miser sur la diversité, planter des espèces en dehors de leur aire de répartition naturelle? Comment les gouvernements et les compagnies forestières réagissent-ils aux recommandations scientifiques?

À l’invitation du Cœur des sciences, Christian Messier donnera une conférence intitulée «Incendies: que faire maintenant?» afin de mieux comprendre les événements de cet été et d’envisager une autre façon de penser nos forêts pour l’avenir. La conférence aura lieu le 21 septembre prochain, à 18 h, à l’amphithéâtre du pavillon Sherbrooke. Inscription obligatoire.

Cet article a d’abord été publié dans Actualités UQAM le 20 septembre 2023.

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Source :
Évelyne Dubourg
Conseillère en communication
Division des relations avec la presse et événements spéciaux
Service des communications
Tél.: 514 987-3000, poste 20157
dubourg.evelyne@uqam.ca

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